En s’inscrivant dans le mouvement de libération de la parole #balancetonporc, ces comptes entendent pourfendre les abus et inégalités subis par des victimes anonymes venues balancer leur témoignage et ainsi briser l’omerta.
« Parce que le baby-foot, c'est cool, mais le droit du travail, c'est encore mieux »
Et l’un d’eux a particulièrement fait parler de lui en ce début d’année 2021 : Balance ta startup. Pour ceux qui n’auraient pas suivi l‘affaire, Balance ta startup s’est attaqué en janvier dernier à la marque française de bijoux fantaisie Louyetu, en publiant des dizaines de témoignages accablants d’anciens et actuels salariés. Et contrairement à ce que laissait entendre la communication de la marque, ses bijoux ne seraient pas fabriqués en France mais achetés, made in China, à un grossiste bien connu de la place parisienne. Pire encore, la marque est accusée de harcèlement moral, licenciement abusif, discrimination à l’embauche sur fond de racisme et de grossophobie mais aussi de fraude.
L’affaire aurait pu en rester là. Après tout, Balance ta startup ne comptait que quelques 5 000 abonnés au moment de la publication du premier témoignage et n’avait été créée qu’à peine un mois plus tôt. C’était sans compter sur la force de frappe du réseau social et la mobilisation dont peuvent faire preuve ses utilisateurs. La réaction est en effet immédiate, la marque perd plus de 50 000 abonnés en 72 heures, les commentaires négatifs affluent comme les appels au boycott et les commandes s’annulent. Le badbuzz prend une nouvelle ampleur quand influenceuses et journalistes sont interpellés et appelés à relayer les accusations. Le magazine Forbes en fait d’ailleurs les frais quand une de ses journalistes est directement tagguée en raison de l’article dithyrambique publié sur la marque. L’article sera supprimé quelques heures après... Dans le même temps, Balance ta startup a gagné des dizaines de milliers d’abonnés (près de 130 000 en 3 jours).
Si plus d’un mois après les faits Louyetu n’a pas déposé le bilan, sa communication se fait discrète, au contraire des commentaires négatifs qui continuent de pleuvoir sur sa page. La marque avait pourtant tout misé sur Instagram et ses influenceuses pour se faire un nom. Son erreur réside peut-être dans le fait de n’avoir pas su anticiper le risque que le réseau social qui l’a rendu si populaire pouvait aussi la détruire.
Les tabous s’envolent
Au regard de ces évènements, une question se pose : pourquoi Instagram réussit-il là où la voie légale fait souvent défaut ? Pourquoi, les victimes doivent-elles en passer par ce processus de témoignage en ligne pour se faire entendre ? La réponse se trouve certainement dans l’anonymat qui protège de toutes représailles et dans la viralité du réseau social, qui utilise le visuel plutôt que les mots pour interpeller. Quand le processus de plainte peut se révéler être très lourd et peser financièrement, notamment en cas de poursuites contre son employeur, les comptes « Balance » offrent eux une tribune aux victimes et redistribuent le « pouvoir » de manière verticale. Ils permettent aussi de lancer l’alerte et de médiatiser des situations de harcèlement, là où les journalistes éprouvent habituellement des difficultés à recueillir des témoignages.
On peut aussi se demander, comme les Echos Start l’a fait dans l’article « Balance ta start-up », « Balance ton agency » … pour ou contre ces dénonciations sur les réseaux sociaux ?, si ces comptes permettent réellement de rééquilibrer un rapport de force habituellement en faveur de l’agresseur, ou s’ils ne passent pas pour des tribunaux populaires, coupables de favoriser ce qu’ils entendent pourtant combattre : le harcèlement. La fondatrice de Louyetu en a d’ailleurs fait les frais et a dû supprimer son compte personnel après une vague d’insultes et de propos malveillants. Le rapport de force s’en retrouverait ainsi inversé, et le bourreau deviendrait la victime d’une vindicte populaire, sans preuve réelle des faits reprochés.
Pourtant, Balance ta startup ou Balance ton agency, pour ne citer qu’eux, offrent un droit de réponse aux entreprises visées.
Et c’est là que le bât blesse. Pour beaucoup, la communication de crise se résume à un silence radio. Or, si pour certaines marques ou entreprises déjà bien installées et dont les réseaux sociaux ne représentent qu’un canal de diffusion comme un autre, une absence de réponse est presque inoffensive, pour celles qui se sont construites grâce à Instagram, le préjudice d’un tel silence est bien plus grand. Réseau social de l’authenticité (certes, on peut parfois en douter), l’absence de réponse sera perçue comme un aveu et laissera s’installer un déséquilibre entre l’image de la marque et la surabondance d’attaques et de messages négatifs, et ce, d’autant plus si sa stratégie conversationnelle est forte habituellement. Louyetu en devient ainsi presque un cas d’école. La marque a en effet préféré répondre partiellement aux attaques au travers d’une interview accordée au Figaro, plutôt que d’activer une cellule de crise directement sur sa page Instagram. En rupture avec sa communication, Louyetu a pris un risque en choisissant de répondre de manière descendante via un media traditionnel.
Et finalement, que reste-t-il de ces « Balance » ?
Au-delà de la libération de la parole, ces comptes permettent de faire bouger les lignes. Balance ton agency et Les Lionnes ont par exemple permis à l’Association des agences de conseil de communication (AACC) de mener un travail de fond sur la question du harcèlement. Balance ton stage a réalisé un sondage auprès d’étudiants pour mesurer l’ampleur du harcèlement sexuel et du sexisme lors de stages. Balance ta startup travaille avec des avocats pour accompagner les salariés victimes d’abus.