Tribune  —  23 janvier 2023

Design Systémique et Litératie du futur

Angela Martin

 

 

Avez-vous songé d’utiliser le Design Systémique comme outil d’anticipation du futur ?

Dans le contexte de « retour à la normale », post-Covid, les incivilités ont vu leur nombre augmenter considérablement dans notre société. La multiplicité de moyens de transports mis à la disposition des usagers (trottinettes/vélos/ voitures électriques etc.), qui, sur le papier, créé pour chacun une opportunité de choisir le mode de déplacement alternatif conforme à ses besoins ou ses engagements personnels a généré des situations conflictuelles entre les différents conducteurs, voire une augmentation significative des accidents de la route. Ce, au point que le sujet devienne un phénomène sociétal parce que l’on a occulté d’anticiper l’approche comportementale des hommes dans l’adoption de ces nouveaux services, avec l’exemple parlant de la trottinette électrique abandonné sur le trottoir.

Les dysfonctionnements d’un nouveau mode de consommation ou service, d’un nouvel mode économique, mis en application dans nos sociétés, n’est pas nouveau. Nos économies ont souvent fait le choix de tester d’abord les nouvelles idées dans nos sociétés et d’en constater ensuite les effets. Ce modèle n’est plus possible en l’état, car il génère des effets grave sur le plan social et sociétal mais aussi humain. A titre d’exemple, l’économie des EPHAD a eu les tristes effets que l’on connait sur nos seniors et leurs familles. 

Pour engager un changement dans l’approche méthodologique du lancement d’un nouveau service ou nouvel usage, il convient d’opérer un changement fondamental et de s’intéresser à des nouvelles disciplines et notamment le design systémique : l’alliance du design thinking à la pensée systémique. Le design systémique implique de cartographier l’ensemble des composantes d’un système, d’examiner leurs relations et impacts et d’identifier les points d’actions permettant de repenser l’objet d’étude, de créer et transformer les systèmes existants à une plus grande échelle. Mise à l’œuvre, cette discipline facilite un changement d’approche et de gestion de l’objet d’étude, au travers d’une démarche de résolution de problème, en cogestion avec des chercheurs, des acteurs sociaux et l’intégralité des parties-prenantes concernées. 

En pratique, le design systémique s’appuie sur une matrice d’externalité développée au sein du programme de recherche-action au sein de l’association Les Designers Éthiques. Tandis que nos économies fondent la réussite du lancement d’un nouveau service ou produit avec une vision anthropocentrée sur l’usager, avec les effets négatifs que l’on constate par exemple dans le secteur de la mobilité (organisation des flux de mobilité totalement inadaptés aux différents modes de déplacement), le design systémique prend en compte l’intégralité des composantes externes à l’individu et ses effets. 

Ainsi, se présente la démarche en 7 points à entreprendre pour analyser tout projet d’innovation et son futur : 

  1. Cadrer le système : fixer les limites de votre système dans l’espace et le temps et identifier les parties et relations hypothétiques.
  2. À l’écoute du système : écouter les expériences des gens et découvrir comment les interactions conduisent au comportement du système ; effectuer une vérification des hypothèses initiales. 
  3. Comprendre le système : voir comment les variables et les interactions influencent la dynamique et le comportement émergent et identifier les points de levier avec lesquels travailler.
  4. Définir l’aide souhaitée : aider les parties prenantes à articuler l’avenir commun souhaité et la création de valeur souhaitée. 
  5. Explorer l’espace des possibilités : explorer des idées possibles pour intervenir sur les points de levier et renforcer les idées en travaillant avec les paradoxes du système. 
  6. Concevoir le modèle d’intervention : définir le moteur du changement et de ses variations et itérer en envisageant sa mise en œuvre dans différents contextes 
  7. Favoriser la transition : définir comment les interventions mûrissent, se développent et sont finalement adoptées dans le système.

Adopter une compréhension et une approche holistique d’un contexte, d’une problématique permet d’aborder tous les points d’interactions sur le plan économique, politique social, environnemental et humain en les positionnant sur la matrice d’externalité pour en mesurer l’efficience d’aujourd’hui à 10 ans.

Autre avantage, l’exercice amène un regard critique sur les choix de conception des solutions ou services et un questionnement éthique pour éventuellement réorienter le produit ou service actuel.

A titre d’exemple, appliquée au domaine des services à la personne, dans le cadre du projet IsèreADOM, dispositif de maintien des seniors à leur domicile mené avec le département de l’Isère, la démarche de design systémique a permis de penser une approche complète et accessible de l’information-orientation des publics fragiles ou en perte d’autonomie, par la création d’un guichet unique, un suivi systématique et décloisonné des interventions à domicile, appelé « Sentinelle » et la désignation d’un référent de situation pour organiser le suivi et adapter les plans d’aides ou de soin au bon moment. 

Face aux nombreux défis auxquels nous sommes confrontés actuellement, défi climatique, inflation économique, crises sociales, les interactions qui existent entre chaque projet d’innovation impose aujourd’hui d’avoir une compréhension et vision holistique de celui-ci ou d’un, service, produit et d’en tester les applications et effets dans les différents systèmes qui se confrontent. C’est ainsi qu’il sera possible d’accentuer l’impact positif auprès de toutes les parties-prenantes concernées, en premier lieu, notre société et d’anticiper la réalisation d’un futur espérant optimiste. 

 

Pour en savoir plus : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03587309