Tribune  —  14 février 2023

Vers un nouvel Internet de la confiance ?

David Mossaz

Vrai ou faux ? C’est la question centrale en 2023. A l’heure où les IA génératives (ChatGPT, MidJourney, Stable Diffusion…) prennent le pouvoir sur le contenu et où tout à l’air “plus vrai que nature”, on ne sait plus à qui faire confiance.
Les nouvelles technologies décentralisées (réseaux pair-à-pair, Blockchains) du Web3 ont pour aspiration d’augmenter la traçabilité et de sourcer l'origine de l’information afin de vérifier la véracité de celle-ci. Une ambition louable, mais dont les résultats restent sujet à controverse.

 

Dans notre monde “centralisé”, la figure d’autorité, représentée par les institutions et organisations, s’impose en tant que référence de confiance. Ces représentants de l’autorité sont nécessaires pour corriger l’asymétrie d’information sur le marché. On peut notamment considérer les médias de référence, dans l'écosystème démocratique des sociétés occidentales, comme des autorités qui proposent une information quasiment « certifiée ». En effet, la réputation de l'émetteur de l'information à un rôle primordial sur la perception et l’acceptation de celle-ci. Si l’on transpose cette logique à la finance, les agences de notation occupent également cette position d'influence, de par leur caractère incontournable et quasiment monopolistique (Moodies, S&P et Fitch détiennent 85% du marché), l'information qu'elles délivrent devient l'étalon du secteur.

Aujourd’hui, la parole des représentants de l’autorité, autrefois érigée au statut d’“oracle”, est sérieusement remise en cause. Force est de reconnaître que nos sociétés contemporaines sont perturbées par des crises de confiance dites aussi crise de “foi” : fakes news, IA génératives malveillantes produisant du contenu plus vrai que nature, perte de confiance des consommateurs entraînant la transformation des comportements d’achats… L’actualité ne manque pas d’événements venant alimenter le climat de méfiance et de doute général pour entraîner un vacillement progressif des institutions représentantes de l’autorité. Une situation qui interroge et revient régulièrement dans le débat public : qui a raison, qui a tort, qui certifie la véracité, sur quels critères ?  

Mortifère pour la société, cette défiance étend son ombre à de nombreux acteurs, qui, reconnaissons-le, ont trop tardivement perçu la transparence comme des nécessités. Or, ces nécessités se sont aujourd'hui muées en impératif. Le système économique n’y échappe pas, mais il ne peut fonctionner sans confiance. L’accumulation de scandales, en passant par la manipulation du Libor jusqu'à récemment Twitter et Elon Musk, a participé à l'érosion de cette confiance. De plus, toute structure centralisée est forcément sujette à caution, puisque dirigée par des êtres humains (par essence corruptibles et faillibles) et puisque tirant sa légitimité de sa seule position de domination (historique et financière).

C'est là que le monde "décentralisé" entre en scène avec notamment la Blockchain, qui est la tentative la plus aboutie de recours face à des institutions discréditées. Elle valide que l'information correspond bien au protocole attendu par chacun des nœuds validateurs c’est-à-dire que : l'information est unique, infalsifiable et non-fongible. Il est pour autant de notre devoir de conserver notre capacité de jugement et de questionner la véracité de l’information avant son intégration à la Blockchain. Pour illustrer ce propos nous pouvons partir de l’exemple des NFT, œuvres digitales que l'on peut acheter et échanger en crypto monnaie sur une Blockchain. Cette dernière va faire autorité pour valider ce qui est écrit dans le registre : la transaction, l'URL de l'œuvre, la date, le montant, l'adresse du propriétaire. Cependant, dans le cas précis où lors de l’intégration il y a une tromperie sur l'œuvre (plagiat d’une œuvre non répertorié), la Blockchain ne sera d'aucune utilité pour rétablir la vérité.

Par ailleurs, la décentralisation qui est l’essence même des principes théoriques de la sécurité prônée par les Blockchains publiques, est aujourd’hui relative. Bitcoin, la Blockchain historique est aux mains de consortiums de "minage" en Chine et dans les pays nordiques, concentrant une grosse partie de la puissance de calcul et donc de minage. Une re-concentration du réseau Bitcoin qui est en contradiction avec la pluralité de nœuds validateurs nécessaires pour assurer la fiabilité du système.

De même pour Ethereum, l'autre célèbre Blockchain publique, qui est passé récemment au système de “Proof of Stake” comme principe de validation. Ce système impose le "staking", c'est-à-dire le fait de posséder un montant minimum de jetons d’une crypto monnaie comme critère de sélection. Le fonctionnement est similaire à celui du poker : plus vous "stakez" des Ethers plus vous augmentez vos chances de valider un bloc de transaction et donc d'être rémunéré.. en Ether. En d’autres termes, ce système s’apparente à de la ploutocratie car il accorde plus de poids et d’autorité dans la validation aux plus riches qui s’enrichissent davantage.

Les nouvelles technologies décentralisées, qui fondent le Web3 sont donc en même temps pleines de promesses et pleines de contradictions. Il serait peut-être judicieux de laisser ces technologies (quelle qu'elles soient) à leur place et de remettre le bon sens (critique) au goût du jour. Une relation de confiance se construit dans le temps. Un contenu émanant d’une source que l’on a appris à respecter pour son professionnalisme et son honnêteté acquiert la confiance de son récepteur (qu’il soit où non certifié par une autorité). Une bonne nouvelle pour les marques patrimoniales et historiques qui ont su développer leur récit dans le temps autour d’un faisceau de preuves vérifiables.