Tribune  —  02 octobre 2020

Pour un nouveau récit automobile

Jean-Philippe Martzel

Sans doute pétrifiés par la transformation technologique et sociale de la voiture, les publicitaires ne parviennent pas à s'adapter au nouveau statut de l'automobile et aux nouvelles attentes des consommateurs. Jean-Philippe Martzel, directeur des stratégies chez Insign, propose quatre pistes de revivification du récit automobile.

«Recul historique des déplacements en voiture en Île-de-France». C’est le titre d'un article des «Echos» paru le 13 novembre 2019. Cet article repose sur une enquête récente qui montre que les trajets du quotidien en automobile ont diminué de 4,7 % dans la région Île-de-France par rapport à 2010. C’est une première depuis l’après-guerre.

Toujours au mois de novembre 2019, lors d’une émission politique de BFM-Le Parisien, Bruno Le Maire, ministre de l'Économie et des Finances, exprimait son projet d’exiger des constructeurs automobiles de faire apparaître clairement et systématiquement sur leur publicité le niveau d’impact sur l’environnement du véhicule promu.

Face à la transformation sociétale profonde que subit l’objet automobile sur fond de prise en compte du bouleversement climatique, le récit publicitaire semble paralysé. Il apparaît en effet incapable d’avoir un quelconque impact sur l’évolution de la représentation de la voiture dans l’inconscient collectif. Le digital a certes révolutionné l’infrastructure de communication des constructeurs automobiles et de leurs agences de communication, mais il n’a pas contribué à renouveler le contenu du récit automobile proprement dit.

Les pistes d’exploration qui pourraient permettre la revivification du récit automobile existent. Elles relèvent aussi bien du fond que de la forme. En voici quatre pour ouvrir la discussion et tenter de sortir des figures imposées.

Quitter la ville

La présentation de modèle promu devrait quitter le fond de scène quasi exclusif que constitue la grande ville. Il ne s’agit pas que d’un détail décoratif. On l’a vu dans le déclenchement de la crise des «gilets jaunes», les territoires qui sont les plus sensibles à l’évolution du prix du carburant sont périurbains et surtout au-delà : la France des petites villes et villages. C’est contre une certaine mise en cause de la voiture que s’est rassemblée cette partie de la population.

Le sociologue Benoît Coquard qui a enquêté plusieurs années dans les espaces ruraux en déclin déclarait dans une interview pour «Libération» en décembre 2019 : «La voiture a réussi à rassembler et conformer une prise de position politique entre des personnes qui n’avaient pas forcément le même niveau de vie». Ce sont dans ces territoires que la possession d’une voiture est toujours une réalité et a souvent un sens.

On peut penser que la valorisation de ces modes de vie non-urbains à travers la représentation publicitaire pourrait avoir un effet miroir positif auprès de ceux qui n’ont pas toujours l’impression d’appartenir au même «roman national» que les habitants des grandes villes. Par ailleurs, si l’on veut contribuer au remplacement des véhicules les plus polluants par des modèles plus récents et donc plus respectueux de l’environnement, c’est bien là que l’effort doit porter.

Cibler les quadras et les quinquas

La publicité automobile devrait se concentrer sur la part de la population qui achète des voitures. L’âge moyen pour l’achat d’une voiture neuve est de 55,3 ans en France. Pourtant, les moins de 35 ans ne représentent que 13 % des acheteurs de nouvelles automobiles dans le pays, dont 8 % pour les 26 à 35 ans. Les chiffres sont sans appel : il y a un désamour consommé entre les jeunes et l’automobile-objet de propriété.

Bruno Garancher, président d'ECF association, réseau fondé en 1969 et qui regroupe 140 auto-écoles en France, déclarait le lundi 18 novembre 2019 dans «La Dépêche» :«Aujourd'hui, beaucoup de nos jeunes passent le permis de conduire à contrecœur, quand il devient un prérequis à l'emploi. Nous sommes donc dans un creux de vague. Ces trois dernières années, on compte pas loin de 100.000 jeunes en moins par an qui n'auront pas passé le permis de conduire».

Dont acte, les jeunes ne constituent pas la population la plus versée dans l’achat d’une automobile neuve. Il pourrait donc s’agir à présent de rapprocher cibles marketings et cibles d’achat et donc d’en finir avec le gimmick du jeune homme barbu d’une trentaine d’années qui est devenu depuis 10 ans l’archétype du propriétaire d’automobile neuve dans la publicité.

L’enjeu réside aujourd’hui dans la capacité de développer de nouveaux référents, plus en phase avec la réalité de la vie des 40-50 ans. Une population elle aussi curieuse et hédoniste qui s'informe sur tout et surtout ce qui concerne l’innovation. Par ailleurs, fait non négligeable, c’est cette population qui a les moyens nécessaires à l’achat d’une voiture neuve.

Plaisir de conduire électrique

La voiture électrique n’a jamais vraiment bénéficié d’un récit à l’échelle de l’innovation technologique et sociétale qu’elle représente. En fait, seule la création et le lancement de la marque Tesla a produit un univers de référence véritablement aspirationnel autour la voiture électrique. L’enjeu environnemental dans un premier temps et les problématiques liées à l’autonomie par la suite constituent les seuls angles de communication activés sur le sujet de la voiture électrique.

Le plaisir de conduire électrique n’a jamais été réellement investi par le storytelling publicitaire. Pourtant de nombreuses enquêtes de terrain rapportent, depuis plusieurs années, les témoignages de conducteurs qui évoquent un plaisir spécifique de conduire électrique. Un plaisir de conduire que ces conducteurs électriques rapprochent en fait de la pratique du surf, dans la maîtrise nécessaire des courants et des flux d’énergies.

Cette approche du récit n’a jamais été effleurée dans la communication publicitaire. On lui a préféré le fonctionnel (le silence) ou la dédramatisation (l’autonomie). De quoi rassurer, certes, mais pas de quoi susciter un véritable investissement émotionnel. Comme si le plaisir était définitivement interdit au propriétaire de voiture électrique.

Le plan du gouvernement qui prévoit le déploiement en France de 100.000 bornes de rechargement électrique d’ici 2022 va permettre d’entrer dans une nouvelle séquence de l’expérience électrique sur les routes de France. Et si le storytelling autour de la voiture électrique en faisait de même ?

Réinvestir le registre émotionnel

Un article du Laboratoire Influencia paru en juin 2019 notait : «La publicité digitale est devenue une jungle de formats désorganisés et rejetés massivement par les internautes. Il est donc légitime de s’interroger sur la place de l’émotion à l’heure de la data. En effet, la course effrénée vers plus de données, ainsi que leur exploitation, ont conduit à une uniformisation du marché.»

L’utilisation du registre de l’émotion dans la publicité a été un vecteur majeur d’accompagnement de la grande distribution dans la démarche de transformation d’un secteur tout entier. Difficile d’imaginer aujourd’hui les batailles à coups de prix bas auxquelles se résumait, il y a quelques années encore, la communication des grands distributeurs. C’est l’activation de ce registre émotionnel dans la communication qui a contribué à véhiculer toutes les valeurs liées à une consommation plus responsable, à la mise en avant de produits et d’une façon de se nourrir plus en phase avec les attentes des consommateurs. C’est cette approche qui contribue à la crédibilité de l’ensemble du secteur de la grande distribution dans sa capacité à répondre aux nouvelles attentes des consommateurs.

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En 2020, le risque pour l’objet automobile d’être mis au ban de la société est réel. Certes, au XXIe siècle, l’automobile n’est plus comparable à une cathédrale gothique et sa magie ne semble plus produire l’effet décrit par Roland Barthes dans «Mythologies». Mais l’automobile n’est plus la même non plus.

Le secteur de l’automobile vit un bouleversement sans précédent qui voit se télescoper transformation industrielle, technologique, business et comportementale ; le tout dans une ère de prise en compte aiguë de la crise climatique et environnementale. L’objectif de ce texte est de lancer des pistes qui pourraient accompagner ce bouleversement en contribuant à renouveler le récit publicitaire de la voiture.

La publicité en tant que producteur de récit est en capacité d’accompagner les marques automobiles dans leur révolution. Elle l’a déjà démontré pour d’autres secteurs d’activité. Un seul préalable néanmoins, qu’elle se transforme elle aussi.