On ne compte plus les webinars et les articles qui s’attachent depuis quelques semaines à interroger « les nouveaux comportements » acquis par les français dans le contexte engendré par le Covid.
Si l’on peut trouver naturellement des variations entre les différentes approches, un questionnement commun émerge néanmoins : Quelle sera la durabilité dans le temps de ces comportements ? Le propos ici ne sera pas de répondre de façon péremptoire à cette question, mais plutôt de souligner que la tension qui se fait aujourd’hui entre ce que les gens pensent (attitudes) et ce qu’ils font (comportements) pourrait être un facteur déterminant de généralisation de ces comportements. Même si la tension entre attitude et comportement n’est pas née avec la crise du Covid, elle a récemment atteint un seuil critique et les nombreuses publications sur l’impact psychologique de la crise sur les français peuvent contribuer à en témoigner. Le phénomène de « dissonance cognitive » élaboré en 1957 par le psycho-sociologue Léon Festinger décrit parfaitement la tension qui est à l’œuvre ici : Il y a dissonance cognitive lorsque les circonstances amènent une personne à agir en désaccord avec ses croyances et cette personne éprouvera alors un état de tension inconfortable.
On peut identifier deux types de décalages qui sont à l’origine des tensions vécues par le consommateur et qui ont été accentués du fait de la crise sanitaire.
82% des Français déclarent vouloir adopter une consommation citoyenne, alors que seulement 41% la mettent vraiment en pratique régulièrement. La moitié à peine ! (source étude Storymind - Janvier 2020, terrain Opinion Way)
Trois natures de tensions agissent ici :
Pendant le confinement, 39% des Français déclaraient avoir envie le plus vite possible de partir en week-end dès que cela sera possible. Pourtant ils étaient 33% à dire que cela pouvait constituer un risque important pour eux ou leurs proches. (BVA Avril 2020).
Ce décalage entre envies et peurs est le fruit d’une tension entre l’envie de se faire plaisir et les risques sanitaires liés au Covid.
“Les individus sont des menteurs de bonne foi : la crise crée une exacerbation entre ce que je veux faire et ce que je fais vraiment. Avant la crise, les inspirations liées à la consommation responsable tendaient à se démocratiser. Après la crise, c’est renforcé. Mais en ce même temps, l’envie d’un retour à la réalité avec un accès à la modernité et au confort qu’elle procure est palpable. Les individus sont donc coincés entre ces deux injonctions”. (Fanny Parise, Socio-Anthropologue)
Cette exacerbation des tensions qui sont particulièrement à l’œuvre aujourd’hui est alimentée par l’inversion du schéma classique Attitude (ce que je pense) –> Comportement (ce que je fais). Une inversion directement produite par la crise actuelle : Les « nouveaux comportements » ne sont pas déterminés par une opinion ou une attitude, mais par l’imposition d’un nouveau cadre définissant la vie quotidienne des individus (gestes barrières, confinement, déplacements…). Ainsi, c’est bien une contrainte qui est ici à l’origine de nouveaux comportements et non une « décision » de l’individu.
Or, de nombreux travaux de psychologie sociale ont démontré que l’individu ajuste dans bien des cas ses attitudes aux comportements qu’il réalise. Ainsi, quand l’individu est amené à se comporter d’une certaine manière, il va adapter ses opinions à son comportement afin d’atténuer la tension produite par la dissonance cognitive.
La psychologie sociale utilise le terme de « manipulation comportementale » pour désigner cette procédure ayant pour objectif d’amener l’individu à se comporter d’une certaine manière pour provoquer un changement d’attitude dans le sens du comportement acquis (voir schéma ci-dessous).
(source : LINX. Revue des linguistes de l’Université Paris-Ouest Nanterre La Défense N° 54. 2006)
En permettant à chacun « d’expérimenter » des comportements « imposés » par la situation, cette crise permettra-t-elle la généralisation de certains comportements de consommation qui étaient jusqu’à alors dans la société de façon latente ou minoritaire comme semble le penser l’anthropologue Fanny Parise : « Le fait d’essayer de nouvelles pratiques, de réaliser que ce n’est pas aussi compliqué qu’on le pensait, et de les répéter à plusieurs reprises permet leur diffusion progressive ».
On l’aura compris, l’enjeu est majeur pour les marques qui souhaitent participer à la transformation de notre modèle de consommation et y trouver de nouveaux axes de développement. Leur rôle devrait être alors de s’attacher à « aider » les consommateurs à soulager la tension entre leurs attitudes et des comportements qu’ils n’ont pas choisi mais dont la durabilité et la généralisation pourraient marquer un véritable tournant pour la consommation.