Tribune  —  22 mai 2024

Transformer l'Expérience Utilisateur : L'Impact des Neurosciences sur le design de services

Yvain Jury

La conception et le design d'expérience sont largement fondés sur les pratiques du "Design centré utilisateur”. Si celles-ci ont fait et font leurs preuves chaque jour, nous avons l'opportunité de venir ajouter une dimension complémentaire capitale : l'objectivation par la donnée scientifique. 

La progression des connaissances en neurosciences depuis 15 ans vient bouleverser les enseignements sur le comportement des humains et leur cerveau. Quel que soit le domaine, et évidemment la technologie en premier lieu, il est essentiel de prendre en compte ce qui est désormais avéré scientifiquement. Bien sûr, les neurosciences viennent parfois appuyer et renforcer ce qui avait été pressenti, observé ou théorisé par les études d'autres sciences (la psychologie cognitive, la sociologie, etc.). 

Et c'est cela qui nous intéresse particulièrement chez Insign ! Depuis 3 ans, nous utilisons dans la conception des expériences, que nous construisons avec nos clients, les insights scientifiques précieux que nous apportent les neurosciences.

Cet apport d'objectivité permet d'accompagner avec beaucoup plus de pertinence et d'impact les comportements des utilisateurs. Et c'est bien de cela dont il s'agit quand on parle de Design, revenir à son origine : les fondations cognitives. La connaissance la plus profonde du fonctionnement de l'humain, pour concevoir quelque chose d'utile, d’utilisable et de mémorable. Grâce aux avancées en neurosciences, nous disposons désormais d'une compréhension approfondie de la manière dont le cerveau humain perçoit, traite et réagit aux stimuli. Elles nous offrent des informations précieuses sur le traitement de l'information, la prise de décision et les émotions. Comprendre ces mécanismes permet de créer des mécaniques qui vont d'une part mieux répondre aux attentes des utilisateurs et anticiper leurs besoins, d'autre part favoriser l'adoption et la fidélisation des utilisateurs. Elles conduisent ainsi l'expérience utilisateur à une série d'interactions plus intuitives et engageantes fondées sur des preuves scientifiques robustes, assurant ainsi une efficacité et une pertinence maximales.

S'il les enseignements sont très nombreux et en perpétuelle évolution, voici 4 préceptes que nous respectons dans nos travaux :

 

1.     L'Engagement par la Gamification

La dopamine, un neurotransmetteur lié au plaisir et à la récompense, joue un rôle important dans l'engagement et la fidélisation des utilisateurs. Les expériences qui intègrent des éléments de gamification, tels que des récompenses instantanées ou des défis, peuvent stimuler la libération de dopamine, ce qui augmente le désir de l'utilisateur de revenir à l'application. C'est l'un des principes fondamentaux de l'application Explorer que nous avons développée pour "les 3 Vallées" dans le but d'inciter les skieurs à explorer et à découvrir tous les secrets du domaine et ses nombreuses activités.

Lorsque les skieurs valident un "point d'intérêt" du domaine qu'ils ont atteint sur leur parcours, plusieurs éléments de gamification sont déclenchés. Le pictogramme du lieu change, le nombre de points augmente et le niveau progresse. Cela donne envie de skier jusqu'au prochain point, non seulement pour découvrir la beauté des lieux, mais aussi pour continuer à explorer la carte et à poursuivre "le jeu". Du grand ski et beaucoup de plaisir !

 

2.     Réduire la Charge Cognitive

Selon la théorie de la charge cognitive (John Sweller, Paul Ayres et Slava Kalyuga, Cognitive Load Theory, 2011), dont les recherches en neurosciences ne cessent d’étudier les contours, le cerveau a une capacité limitée à traiter de nouvelles informations. Une conception efficace doit minimiser la complexité et éviter de surcharger cette capacité, sous peine “d’échec de la tâche”. Dans le cas du Design, un abandon de la part de l’utilisateur, après un sentiment d’incompréhension ou de frustration de l’utilisateur.

L’identification des tâches les plus importantes est donc décisive. Toujours dans l’application  Explorer, nous avons décidé de concentrer dans l’écran principal l’attention de l’utilisateur sur 2 points : l’identification du lieu où il se trouve dans le domaine, ainsi que les points d’intérêts ou il peut se rendre. Une multitude d’autres informations importantes pourraient être aussi affichées (état d’ouverture des pistes, itinéraire) mais sans choix des éléments structurants à mettre en avant, le service perdra le cerveau de son utilisateur. Bien sûr, l’art réside dans le subtil équilibre entre ces autres informations accessibles uniquement si l’utilisateur les cherche, sans que cela ne soit trop prégnant.

 

3.     L’importance des Émotions 

Les travaux de recherche, notamment de Luke Clark à l'Université de Cambridge, ont démontré comment les émotions influencent la mémorisation. Nos émotions vont donc  jouer un rôle déterminant non seulement dans la manière dont les utilisateurs interagissent avec un service, mais aussi dans la façon dont ils se souviennent et évaluent ces interactions. Les réactions émotionnelles peuvent renforcer ou affaiblir l'engagement des utilisateurs, influençant directement leur satisfaction et leur fidélité. Par exemple, une expérience utilisateur positive, qui suscite joie ou satisfaction, peut créer des associations positives avec une marque, augmentant ainsi la probabilité de réutilisation et de recommandation du service. Inversement, une expérience négative va non seulement dissuader une utilisation ultérieure mais aussi nuire à la réputation de la marque.
Dans le cas de l’application Explorer, nous utilisons les couleurs, les formes, les textures, les sons pour évoquer des réponses émotionnelles spécifiques, intégrant ces éléments de manière stratégique pour créer des expériences profondément engageantes et mémorables. Le choix de la couleur Bleue dans Explorer n’a rien du hasard. Si elle rappelle implicitement l’univers de la montagne ou du ciel, la raison est aussi que le cerveau va l’associer plutôt à la raison, la confiance, l’honnêteté.

 

4.     L’Optimisation visuelle

Vous avez tous en tête le menu qui vous paraît incroyablement complexe à lire de la pizzeria du coin, avec ses 14 polices différentes, ses 12 couleurs et ses 33 images. Tout aussi complexe que la signalétique du carrefour du métro des Halles à Paris avant sa refonte par la RATP il y a quelques années. Ce sentiment d’être complètement perdu, dans un cas comme dans l’autre. L’explication scientifique est que notre cerveau traite l’information hiérarchiquement. Dans la conception de services ou d'expériences, cela signifie organiser les informations pour que l'utilisateur puisse naviguer intuitivement dans les messages, contenus, indications  qui lui sont proposés. Qu'ils soient digitaux ou physiques, les éléments les plus importants doivent être mis en avant visuellement (taille, couleur, positionnement) pour attirer l'attention immédiatement. 

 

5.     Le rythme ultradien dans l'interaction utilisateur

Les cycles ultradiens sont des périodes pendant lesquelles notre cerveau peut se concentrer efficacement avant de nécessiter une pause régénératrice. Les expériences qui sont conçues pour permettre des sessions d'utilisation brèves et intenses, suivies de pauses naturelles, peuvent aider à maintenir l'engagement des utilisateurs sans les épuiser. Nous nous inspirons grandement de ces enseignements dans la construction des process de nos ateliers d’Intelligence Collective, pour favoriser une qualité optimale des travaux, l’adhésion de tous et un maintien du flow continu pour l’ensemble des acteurs. 



Adopter une approche de Design fondée sur des données scientifiques, en acceptant leur évolution permanente, est stratégique dans la conception d'expériences et de services.  En comprenant mieux comment notre cerveau fonctionne, nous concevons  non seulement des services ou expériences plus utiles et utilisables, mais également plus agréables à vivre. L’objectivation, par la science, des choix que nous réalisons nous permet d’améliorer l’efficience des produits et d’optimiser la manière dont les utilisateurs interagissent avec la marque.

À mesure que nous continuons à explorer ce champ d'étude, nous commençons à mesurer l’impact que les neurosciences ont sur nos métiers. Aujourd’hui nous parlons de Design, mais cette réflexion peut s’étendre aux organisations du travail, à l’évolution des comportements des managers, à l’optimisation de l’intelligence collective. Les domaines touchés par les apports des neurosciences sont nombreux. 

Alors, quel est celui sur lequel vous souhaiteriez échanger avec nous ?