Tribune  —  11 juillet 2023

Seniors en entreprise : the new must have

Juliette Millier

L’emploi des séniors.es (les 55-64 ans) est un sujet qui a été porté au-devant de la scène par la réforme des retraites, car repousser l’âge de départ à 64 ans pose inévitablement la question du lien qui unit les séniors.es et les employeurs. 

Évidemment, tous les secteurs d’activité sont différents mais les chiffres montrent que de manière générale, en France, malgré une progression depuis 1975, la situation est moins bonne que chez nos voisins européens avec un taux d’embauche des séniors.es à 53,8 % (vs 59,6 %) selon la DARES.

La bonne nouvelle est que les débats qui ont eu lieu au printemps au sujet de la réforme des retraites nous ont fait réfléchir collectivement sur le sujet. Mais au-delà d’imposer la publication d’un « Index » et de menacer de sanctions financières les entreprises qui ne jouent pas le jeu, progresser veut dire deux choses pour moi. Premièrement, cela veut dire porter la même attention que celle portée aux candidats.es et collaborateurs.rices « jeunes », pour qui les entreprises déploient des trésors d’imagination et engagent des moyens de plus en plus importants dans le but de les attirer et les fidéliser. Mais deuxièmement, cela veut dire faire changer les mentalités, combattre les préjugés existants, pour, ine fine, modifier les représentations que la société se fait des séniors.es. Explications.

Depuis mars dernier, on voit émerger de nombreux articles listant les bénéfices qu’auraient les recruteurs.rices à embaucher des 55-64 ans.

Le premier d’entre eux, souvent évoqué : les séniors.es sont des collaborateurs.rices dotés.ées d’une expérience hors pair et donc précieuse. Expérience métier qui confère légitimité et crédibilité d’une part. Et expérience humaine qui apporte de la prise de recul, de la sérénité et de la confiance, d’autre part.

Deuxième avantage : la transmission intergénérationnelle. L’expérience évoquée juste au-dessus est évidemment synonyme de valeur qui, bien transmise via des programmes de mentoring par exemple, est bénéfique pour l’organisme et gage de performance. Surtout quand on sait que la formation est l’une des choses que les collaborateurs.rices attendent le plus de leur entreprise.

Enfin, troisième avantage, mais peut-être à nuancer selon moi : les séniors.es sont des candidats.tes plus nombreux.ses et plus disponibles. D’ici 2040, le vieillissement de la population française est inéluctable. Selon l’Insee, le pourcentage que représentent les 60 ans et plus, en France, est passé de 19% en 1991, à 26,6% en 2020, et ne va faire que continuer à augmenter. Et deuxième chiffre de la DARES cette fois : en 2021, seulement 56% des 55-64 ans sont en emploi, contre 81,8% des 25-49 ans. Quand on sait que toutes les entreprises qui recrutent se battent sur la même cible, celle des « jeunes », dont l’attention est plus difficile, et donc plus coûteuse à capter, on voit là une opportunité intéressante à saisir. Mais n’oublions pas une chose : les Français.es, nombreux.ses à manifester contre la réforme des retraites, prônent une envie de quitter leur travail plus tôt. À cela peut venir s’ajouter une étude de Harvard Business School sur la grande démission qui nous dit qu’aux Etats-Unis, les seniors ont été 2 fois plus nombreux, au moment du Covid, à décider de partir en retraite anticipée. Il faut donc rester prudent sur ce troisième bénéfice.

Le dernier point est celui du coût. Oui, les séniors.es ont des salaires plus élevés que les personnes démarrant dans le monde du travail. Mais vue la valeur apportée par ces profils, souvent déjà expérimentés, rapidement opérationnels et décrits comme plus stables (en effet, selon une étude OpinionWay, 55 % des moins de 35 ans envisagent plus facilement d’envoyer leur CV à d’autres entreprises, contre 36 % des personnes âgées de 50 ans et plus) cet argument peut vite se relativiser, si on adopte une approche ROIste.

À partir de ce constat, on ne peut qu’inciter les entreprises à porter la même attention à cette cible qu’aux autres tout au long du cycle (recrutement, fidélisation, mobilisation), et même à aller un cran plus loin en essayant carrément de faire changer les mentalités.

Mais comment s’y prendre ?

Pour les attirer, commencez déjà par les faire exister dans vos stratégies de marketing RH. Ce que j’observe c’est que nombreuses sont les campagnes de recrutement portées par des visages de jeunes diplômés.es. Et nombreux sont les dispositifs de recrutement qui incluent du Tik Tok par exemple, même si l’entreprise aurait intérêt à cibler des personnes en reconversion. Pour adresser les séniors.es, au-delà de mentionner un âge dans vos offres d’emploi, il faut les rendre visibles et les valoriser. Il faut aussi choisir les canaux où ils.elles sont et aborder des sujets qui les concernent. En plus de rendre vos actions de marketing RH plus efficaces, j’ai l’intime conviction que cela permettra de les faire exister au sein de la société comme une force et ainsi, à plus grande échelle, de faire changer le regard porté sur eux.elles (comme les entreprises l’ont fait pour certaines minorités avant).


Ensuite les fidéliser. En s'assurant qu’ils.elles soient accueillis.es dans une “safe place”. Même si les seniors.es sont semble-t-il, plus “fidèles” que les plus jeunes (cf. l’étude OpinionWay citée plus haut), il faut veiller à leur bonne intégration pour les garder. Cela doit passer par combattre l’âgisme, qui est une des discriminations dont ils.elles peuvent être facilement victimes en entreprise ; par le travail de création de liens entre eux.elles et les autres collaborateurs.rices ; par un onboarding réalisé avec autant de soins que les autres. Il est crucial de les valoriser, c’est-à-dire leur donner la reconnaissance qu’ils méritent, adapter le système de management, leurs donner du feedback et peut-être même pousser jusqu’à leur proposer un dispositif RH d'accompagnement spécifique.


Dernière chose importante : leur donner un rôle utile. Les jeunes n’ont pas le monopole de la quête de sens, de l’envie d’être utile à leur entreprise et plus largement à la société. Peut-être même que dépasser 50 ans, nombreux.ses se questionnent… Sans présager de ce à quoi aspirent vos seniors.es, leur donner un rôle pilier, de transmission, de formation des jeunes générations, devraient les épanouir. Continuer à les former aussi. Le re-skilling ou l’up-skilling des séniors.es est une nécessité pour l’entreprise (acquisition de nouvelles compétences, mise à niveau…) mais également pour eux.elles aussi ! Ils.elles n’arrêteront jamais d’avoir envie d’apprendre !


Au-delà du débat politique, l’emploi des seniors.es est donc un vrai sujet de société dans lequel les entreprises et organisations qui emploient des gens ont un rôle très noble à jouer pour faire changer les perceptions ! Au boulot ;) .