Diversité, représentativité, rien de Neuf-Trois sous le soleil.

Diversité, représentativité, rien de Neuf-Trois sous le soleil.

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Tribune

4 min

Franck Luminier

Directeur de la Création

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Sur les terrains de la représentativité, de l’inclusion et de la diversité, la publicité et plus largement les médias, continuent à emprunter des raccourcis qui s’avèrent être des impasses pour tous.

L'étude Kantar-The Good Company de 2023, portant sur l'inclusion et la diversité dans la publicité française, met en lumière une fracture persistante dans la représentation médiatique de la société. 40 % des Français déclarent ne pas se sentir représentés, avec une marginalisation récurrente perçue des ouvriers, des personnes en situation de handicap et des seniors, qui s’estiment, eux, réduits à des stéréotypes. Bien que les avancées théoriques depuis les travaux de Pierre Bourdieu et sa critique des hiérarchies sociales, aient permis de mieux cerner et mieux appréhender les dynamiques de pouvoir dans la culture médiatique, la publicité continue de cristalliser des divisions culturelles et républicaines. Par un processus d'invisibilisation et ou de caricatures maladroites, certaines populations deviennent les victimes collatérales d'un temps publicitaire qui, dans son impératif de concision et d'impact immédiat, exclut toute complexité. Cette simplification narrative aboutit à une représentation réductrice et stéréotypée de notre société, contribuant à renforcer les fractures sociales au lieu de les atténuer.

Géographies sociales à la carte

Les efforts sont pourtant là, puisque pour 72% de la population française, les marques ont progressé sur la question de la diversité et de la représentation. Un engagement toutefois nuancé puisque que ces efforts sont, pour l’essentiel, jugés limités à la couleur de peau et à l’âge. En somme deux critères immédiatement compréhensibles et lisibles dans le temps court de la narration publicitaire et la parfaite solution de facilité pour répondre aux exigences minimales de diversité quitte à donner trop souvent l’impression d’un quota symbolique et caricatural plutôt qu’un véritable engagement. Ces symbolisations simplistes participent, de plus, à une véritable standardisation culturelle dans laquelle, par exemple, la sous-représentation des français d’origine maghrébine ou asiatique est particulièrement criante, où les ouvriers et les géographies sociales ont disparu, et dans laquelle les territoires s’effacent au profit de topographies fantasmées et d’architectures uniformisées. Un monde sans nuances qui s’accompagne d’un soupçon d’opportunisme voire de social washing créant ainsi une tension entre une inclusion apparente et une discrimination sous-jacente.

L’inclusion discriminatoire par les mots

Pour saisir la tension entre inclusion et discrimination, l'emploi récurrent du terme "neuf-trois" dans les médias pour désigner la Seine-Saint-Denis est un exemple frappant de raccourci simpliste, d’impact discriminatoire et d’inclusion performative. À l'origine popularisé par la culture hip-hop comme un marqueur territorial, ce terme a progressivement été détourné par des discours réactionnaires pour symboliser les territoires supposés en sécession de la République. Dans l'imaginaire collectif, ces deux chiffres, déshumanisants et stigmatisants, se sont alors associés à des poncifs réducteurs et figés. Bannir cette expression condescendante de la sphère médiatique, donc culturelle, permettrait d'appréhender la richesse et la complexité d’un territoire empreint de diversité, de créativité et de dynamiques culturelles et entrepreneuriales. Et pourtant, dans une démarche sincère, sinon opportuniste, d'inclusion, de plus en plus de médias grand public recourent au terme "neuf-trois" pour mettre en avant les nombreuses initiatives positives qui animent la Seine-Saint-Denis mais en privilégiant ce terme, loin de déconstruire les stéréotypes, ils continuent d'enraciner des préjugés discriminants sous couvert de valorisation et entretiennent l’idée d’un territoire abstrait, déconnecté du reste de la société voire de notre réalité. Ce paradoxe contre-productif s’observe aussi majoritairement dans la publicité où la diversité performative des marques exclut plus qu’elle n’englobe en laissant les populations et les marques en déséquilibre permanent.

Un handicap en plus

Ce déséquilibre affecte aussi les personnes en situation de handicap qui restent largement sous-représentées dans la société et dans la publicité. Une quasi-absence souvent marquée par des biais et des représentations simplifiées.

L’exemple le plus emblématique de cette simplification symbolique est l’utilisation, presque systématique, de la chaise roulante pour symboliser le handicap, alors que moins de 5% des personnes avec un handicap moteur en utilisent une. En réalité, près de 80% des handicaps sont invisibles, qu'ils soient sensoriels, cognitifs ou psychiques. Cette iconographie simpliste réduit la diversité des expériences de handicap à une seule image, occultant des réalités aussi complexes que les troubles de l’apprentissage, les maladies chroniques ou encore les troubles mentaux. Certes, la chaise roulante est un pictogramme sémantique pratique, facilement compréhensible dans le format restreint d’une publicité, mais elle contribue à invisibiliser d'autres formes de handicap, renforçant l’idée que seuls les handicaps physiques méritent d'être reconnus et représentés. Mais au-delà de la simple question de la représentation visuelle, trop souvent, les personnes en situation de handicap sont présentées soit comme des héros inspirants, dans une logique de survalorisation, soit comme des victimes appelant à la compassion, dans tous les cas, cantonnés à une approche réductrice qui échoue à refléter la pluralité des parcours et des réalités quotidiennes. Les athlètes des Jeux paralympiques de Paris 2024 ont appelé à en finir avec cette vision condescendante, espérant ainsi ouvrir la voie à des récits plus nuancés et authentiques.

Un récit national

La publicité ne peut, bien sûr, tout résoudre ni tout raconter, ni même embrasser toute la complexité et la pluralité de la société, ce n’est pas sa mission, mais elle a un rôle essentiel à jouer, celui d’être intimement liée aux récits culturels et médiatiques qui façonnent nos imaginaires collectifs. La communication doit être une composante du changement sociétal, le corollaire au cinéma, à la musique, aux réseaux sociaux, qui, séparément et ensemble, délivrent des expériences de la diversité, de l’inclusion et des réalités multiples qui font de nos différences, un récit unique.

Et si l'étude Kantar souligne des avancées dans la diversité en publicité, elle révèle donc aussi des efforts déséquilibrés et superficiels, ce qui devrait inciter les marques à intégrer dans leurs stratégies des récits plus authentiques et inclusifs pour, a minima, éviter un backlash des consommateurs mais surtout pour contribuer à faire nation. Au-delà des quotas et des stéréotypes, il est temps de construire des narrations qui reflètent véritablement la pluralité de la société, et d'endosser pleinement la responsabilité de proposer des miroirs culturels plus riches et plus représentatifs. Les moyens pour y parvenir sont là, de la culture de l’authenticité, à l’accessibilité des campagnes publicitaires pour les personnes en situation de handicap en passant par des représentations justes et respectueuses de toutes les audiences. Il faudra du courage et de l’audace pour ne plus envisager les questions de diversité et d’inclusion comme des contraintes mais comme des opportunités.

 

 

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