Pendant deux siècles, 80% de la valeur du travail a reposé sur la maîtrise technique des machines et des processus de production. La réussite de la majorité des entreprises dépend désormais essentiellement des compétences intellectuelles. Alors que la dépendance aux capacités intellectuelles s'accroît, les indicateurs de santé mentale au travail se dégradent significativement avec un coût estimé à 3 milliards annuel pour les entreprises. (1) En parallèle, les avancées en neurosciences démontrent que travailler en respectant le fonctionnement naturel du cerveau améliore à la fois l’efficacité et le bien-être. Alors, comment les apports des neurosciences peuvent-ils aider les entreprises à concilier impératif d'efficience et qualité de vie au travail ?
Protéger le capital cognitif
Éviter les interruptions
L'environnement professionnel actuel est devenu une machine à interruptions : un cadre perd 2,1 heures par jour à les gérer, consacre 28% de son temps aux emails et consulte son smartphone 150 fois quotidiennement¹.
Ces interruptions sont coûteuses : une minute de distraction nécessite 10 à 23 minutes pour retrouver sa pleine concentration selon la complexité de la tâche en cours (2). Les neurosciences identifient trois pratiques pour protéger la concentration : Premièrement, limiter les interruptions pendant le travail profond. En pratique, casque audio, messagerie fermée, téléphone en mode avion. Deuxièmement, créer des espaces dédiés à la concentration pour permettre d’améliorer la capacité à maintenir une attention soutenue (3).
Enfin, établir des règles claires pour les communications. Réserver certains canaux pour différents niveaux d'urgence pour mieux gérer les attentes et réduire le stress lié aux potentielles sollicitations.
Passer au single tasking
La capacité à gérer une multitude de tâches en parallèle est perçue comme une compétence essentielle. C'est un mythe coûteux car le changement fréquent de tâches ralentit l’avancement global et altère notre capacité à repérer les informations importantes. Passer au “single-tasking” est une méthode bien plus performante fondée sur un meilleur respect de notre fonctionnement naturel : alors que le cerveau considère par défaut d'égale importance toutes tâches à réaliser, identifier clairement LA priorité et l’afficher dans votre environnement lui permet de l'identifier automatiquement comme la plus importante. Ensuite, résister ! Le cerveau, programmé pour économiser l'énergie, pousse naturellement vers les tâches simples et peu énergivores. Combattre cette tendance naturelle via la priorisation favorise l’avancée des tâches complexes. Enfin, récupérer avant de recommencer : faire des pauses actives récurrentes régénère considérablement nos fonctions cognitives. Diminuer les interruptions subies, passer au single tasking sont des solutions simples qui permettent d’être plus performant. Comment les mettre en œuvre individuellement et collectivement ?
Rythmer, bouger, respirer !
Organiser son temps selon le rythme du cerveau
Les recherches en chronobiologie démontrent que les capacités cognitives suivent un rythme circadien précis qui va affecter de manière prévisible l'attention et la performance intellectuelle (6). Entre 9h et 11h, la vigilance et les capacités analytiques atteignent leur maximum. La période 14h-16h favorise la qualité des interactions sociales, tandis que la fin d'après-midi favorise la consolidation mémorielle et la planification. Pour synchroniser le rythme de la journée et celui du cerveau : Réserver les matinées aux tâches complexes requérant une concentration intense, privilégier les réunions et interactions sociales en début d'après-midi, consacrer la fin de journée à la préparation des tâches du lendemain.
Faire des pauses actives
Enchaîner les tâches sans pause néglige un mécanisme biologique fondamental. Après deux heures d'activité continue, concentration et prise de décision diminuent fortement (7). Cela a aussi des conséquences physiques : les recherches démontrent une corrélation directe entre l'intensité de l'activité cognitive et les tensions musculaires chroniques, qui réduisent l'oxygénation cérébrale, affectant vigilance et créativité. (8) La pratique d’une activité physique régulière agit alors comme un régulateur naturel puissant. Dès 15 minutes de marche, la plasticité cérébrale s’améliore et les capacités cognitives se restaurent. Applications concrètes : pratiquer les pauses actives sans téléphone, les "walking meetings" et les exercices pendant la pause déjeuner.
Cultiver le calme et la sérénité
Le stress professionnel sabote littéralement le cerveau. Quand le corps humain est stressé, ses capacités d'analyse et de prise de décision sont réduites de 28% (9). Il existe des techniques puissantes pour contrer ce phénomène. La plus accessible est la cohérence cardiaque : respirer à un rythme précis de 6 respirations par minute (5 secondes d'inspiration, 5 secondes d'expiration). (10) Cette pratique améliore significativement les fonctions cognitives : entre 15-25% pour la mémoire de travail, 10-20% pour la prise de décision, et 20-30% pour la capacité d'attention soutenue. La pratique régulière de trois sessions de 5 minutes par jour suffisent pour commencer à obtenir des résultats remarquables.
Réinventer collectivement le rapport au travail
Pendant près de deux siècles, l'ère industrielle a façonné une vision du travail centrée sur la production physique, assimilant l'humain à un prolongement de la machine. Aujourd'hui, alors que la capacité de production repose principalement sur les capacités cognitives, nous avons paradoxalement conservé cette approche "mécaniste”, appliquant au cerveau les mêmes exigences de production continue qu'à une chaîne d'assemblage. Mais le cerveau fonctionne selon des principes radicalement différents. La question n'est donc plus de savoir si les organisations doivent adapter leurs modes de travail, mais comment orchestrer cette transformation. Les entreprises qui sauront travailler en harmonie avec le fonctionnement cognitif naturel seront celles qui réussiront demain.
(1) Selon Santé Publique France (2022) et étude "Coût du stress au travail en France" (2022), INRS.
(2) Mark et al., 2016
(3)Sander et al. (2019)
(4) Les recherches de Pentland et son équipe au MIT (2018).
(5) les travaux de Woolley et al. (Science, 2010)
(6) Travaux de Roenneberg (2012)
(7) Les travaux de synthèse de Ratey (2020)
(8) Recherches de McEwen (2018)
(9) Recherches d'Arnsten à Yale (2015).
(10)McCraty et Shaffer (2015).
(11)Travaux de Davidson (2016).