Tribune
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Chers DRH, responsables de marque employeur et communicant·es internes, je crois qu’il est temps de ranger les capes, les collants et les masques au placard. "Rejoignez notre équipe de super-héros ! Libérez vos super-pouvoirs professionnels ! Devenez le héros de notre entreprise !" : ces phrases, on les trouve partout. Dans les offres d'emploi, les Job Fair, les communications internes, sur les sites carrière, et même peut-être sur les murs de certains open spaces. Quel que soit le secteur : restauration, santé, industrie, énergie … Mais franchement, qui y croit encore ?
La grande imposture des super-pouvoirs
↳ Comment la rhétorique héroïque masque des attentes irréalistes
Si on veut être honnête (et j'ai envie de l'être) : quand une entreprise parle de "super-héros", de "super-héroïnes" (même si on voit peu d'écriture inclusive dans ces discours-là), bref de "super-pouvoirs", on sait bien ce qui se cache derrière, en réalité : la recherche de l'exploit individuel, l'engagement sans faille, des heures supplémentaires, une disponibilité 24/7, la capacité de gérer une très (trop) grosse charge de travail, et le tout avec le sourire, s'il vous plaît ! Sans oublier cette injonction implicite à porter sur ses épaules des responsabilités qui ne sont pas les siennes - pour aider, être reconnu·e et surtout ne pas être rejeté·e.
↳ Du marketing consommateur à la communication RH : un transfert problématique
Avant d'envahir la communication RH, les super-héros ont d'abord été exploités dans les publicités destinées aux consommateur·trices. On vous vend un détergent qui nettoie "avec la puissance d'un super-héros", une assurance qui vous protège "comme un bouclier indestructible", ou une banque qui gère votre argent avec "des pouvoirs extraordinaires". La différence ? Les consommateur·trices paient pour obtenir ce produit ou ce service aux capacités prétendument surhumaines. Dans la relation employeur/employé, c'est l'inverse : on vous demande d’être le super-héros ou la super-héroïne, d'incarner ces pouvoirs extraordinaires... sans compensation extraordinaire. Comme si en fait, on demandait aux collaborateur·trices de compenser les dysfonctionnements de l’entreprise, comme le font les supers-héros·ïnes avec les dysfonctionnements de leur monde imaginaire, dans nos BD, nos livres, nos films ou nos séries.
L'envers du décor héroïque
↳ Les super-héros de fiction : des modèles réellement inspirants ?
Rappelons un point important. Dans la fiction, les super-héros sont souvent des êtres finalement assez dysfonctionnels, et c’est ce qui nous touche chez eux. Batman ? Un milliardaire traumatisé qui passe ses nuits à se battre au lieu de faire une thérapie. Iron Man ? Un narcissique anxieux qui a un problème avec l’alcool. Spider-Man ? Un jeune précaire qui cumule les jobs pour survivre.
Est-ce vraiment le modèle que nous souhaitons pour nos équipes ? Des personnes isolées, en souffrance, sacrifiant leur équilibre personnel pour une "mission" plus grande qu'elles ? Et cette vision héroïque est d'autant plus problématique qu'elle ne correspond plus aux aspirations des nouvelles générations.
↳ Burnout, désengagement et turnover : les conséquences réelles
En encourageant cette culture du super-héros, les entreprises risquent de favoriser l'épuisement professionnel, le désengagement progressif et finalement un turnover coûteux. Le bien-être au travail se dégrade quand les attentes sont systématiquement irréalistes, et la marque employeur authentique en souffre également à long terme.
L’inadéquation du modèle
↳ Pourquoi la métaphore du super-héros ne fonctionne plus avec les nouvelles générations
En effet, un récent article du Monde Campus nous apprend qu'une partie croissante de jeunes diplômés "assume de ne pas avoir d'ambition professionnelle" et se déclare "allergique au mot challenge". Et ce n’est pas surprenant. La nouvelle génération a compris une chose que ces communications n’ont pas encore intégrée : elle ne vit pas pour travailler, elle travaille pour vivre.
Et c'est là le risque que je vois : des prises de paroles qui ratent leurs cibles. Ce que les jeunes attendent : un salaire décent (oui, les supers-héros·ïnes aussi ont des factures à payer), des horaires respectueux de leur vie personnelle, une reconnaissance qui ne se limite pas à des applaudissements ou des badges virtuels, des perspectives d'évolution transparentes et réalistes, un environnement de travail où l'on peut dire "je n'y arrive pas" sans être considéré·e comme un paria… Bref, il·elles veulent être traité·es comme des humain·es, pas comme des machines à performance dotées de super-pouvoirs imaginaires. Et cette inadéquation révèle une autre réalité plus dérangeante encore.
Des supers-héros·ïnes sans supers pouvoir
Ce qui me gène c’est que la métaphore du super-héros sert souvent à masquer une réalité bien moins glorieuse quel que soit le secteur et donc la réalité de cette réalité. Elle permet de demander toujours plus d'engagement sans offrir les contreparties adéquates. L'héroïsme est devenu la monnaie d'échange préférée des organisations qui ne veulent pas investir dans de meilleures conditions de travail, dans une véritable expérience collaborateur efficace et épanouissante. On vous vend du sens, de la mission, de l'impact, pour éviter de vous donner plus de salaire, plus d'avantages, plus d'équilibre.
C'est comme si on demandait aux vrai·es supers-héros·ïnes de sauver le monde, mais sans leur donner de super-pouvoirs. Juste avec de belles paroles et une cape en polyester.
Au-delà du mythe héroïque
↳ De la valorisation factice à la reconnaissance tangible
Vos collaborateur·trices ne sont pas des supers-héros·ïnes, et c'est tant mieux. Ce sont des professionnel·les qui méritent respect, conditions de travail décentes et reconnaissance tangible. Les organisations les plus attractives aujourd'hui ne sont pas celles qui promettent des aventures extraordinaires, mais celles qui donnent du sens au travail, au quotidien, c’est-à-dire qui créent les conditions d'un travail épanouissant, équitable et soutenable.
Alors, posons-nous ensemble la question : est-ce qu’on continue à chercher des super-héros prêts à se sacrifier pour notre cause ? Ou est-ce qu’on construit une expérience où chacun·e peut donner le meilleur de lui-même sans y laisser sa santé ?
↳ Comment créer une communication RH centrée sur l'humain
La solution réside dans l'authenticité. Les communications “employeur” doivent, plus que jamais, être ancrées dans le réel et partir des collaborateur·trices eux-mêmes, de leurs parcours, de leurs réussites quotidiennes, de leurs défis surmontés ensemble. Voire même en les construisant avec eux·elles. Chaque métier possède sa richesse propre, ses moments de fierté, ses compétences uniques qui méritent d'être valorisés sans artifice. Travaillons à les révéler !